Il avait osé présenter les excuses du Japon au monde : Tomiichi Murayama s’est éteint à 101 ans

Actu Par Laure A. -

C’est une page essentielle de l’histoire politique japonaise qui se tourne. Tomiichi Murayama, l’homme qui osa reconnaître les crimes du Japon pendant la Seconde Guerre mondiale, est décédé à l’âge de 101 ans. Son nom reste indissociable d’un geste rare dans la diplomatie nippone : celui d’avoir publiquement exprimé les regrets et les excuses du pays pour ses exactions passées.

Tomiichi Murayama ancien Premier ministre japonais mort

La disparition d’un homme d’État respecté

Vendredi 17 octobre, le Japon a appris la disparition de Tomiichi Murayama, ancien Premier ministre de 1994 à 1996. La nouvelle a été confirmée par plusieurs responsables politiques, dont Mizuho Fukushima, dirigeante du Parti social-démocrate, héritier du Parti socialiste japonais que Murayama avait autrefois conduit. Sur le réseau X, elle a salué la mémoire de celui qu’elle appelait le père de la politique japonaise.

Murayama est décédé dans un hôpital de sa ville natale, Ōita, au sud-ouest de l’archipel. Selon le Parti social-démocrate local, la mort serait due à des causes naturelles liées à son âge avancé. Jusqu’à la fin, il incarnait une génération de responsables politiques marqués à la fois par la guerre et par le désir d’un Japon pacifique et ouvert sur le monde.

1995 : des excuses qui ont marqué l’histoire

Tomiichi Murayama restera avant tout dans la mémoire collective pour sa déclaration historique du 15 août 1995, prononcée à l’occasion du 50ᵉ anniversaire de la capitulation japonaise. Dans ce discours solennel, il avait exprimé des profonds remords et présenté des excuses sincères pour les souffrances causées par le Japon durant sa période d’expansion coloniale et ses agressions militaires en Asie.

Par notre domination coloniale et notre agression, nous avons causé d’immenses souffrances et dommages à de nombreux pays, en particulier aux peuples asiatiques, déclarait-il. Dans un esprit d’humilité, je considère ces faits historiques irréfutables et exprime ici mes profonds remords et mes excuses sincères. Ces mots, simples mais puissants, ont fait date : ils ont redéfini la manière dont le Japon affronte son passé sur la scène internationale.

Depuis lors, chaque Premier ministre japonais a dû se positionner par rapport à cette “Déclaration Murayama”, devenue un texte de référence dans la diplomatie du pays. Certains l’ont reprise, d’autres l’ont nuancée, mais aucune autre déclaration n’a eu un tel impact symbolique sur la mémoire collective et les relations du Japon avec ses voisins asiatiques.

Un pacifiste forgé par la guerre

Si Tomiichi Murayama avait choisi les mots de la contrition, c’est sans doute parce qu’il avait connu, lui-même, la guerre. En 1944, alors qu’il n’était encore qu’un jeune étudiant, il fut enrôlé de force dans l’armée impériale japonaise. Cette expérience l’a profondément marqué. Des décennies plus tard, il décrivait cette période comme une plongée dans un monde où la rébellion ou la discussion étaient absolument interdites. L’armée, disait-il, était une chose terrible, un souvenir qui ne l’a jamais quitté.

C’est cette mémoire personnelle, mêlée à un sens aigu de la responsabilité historique, qui a façonné son parcours politique et nourri sa volonté d’affronter le passé du Japon sans détour. Pour beaucoup, Murayama incarnait la voix d’un Japon conscient de ses fautes, désireux de construire la paix sur la reconnaissance et non sur l’oubli.

Un mandat traversé par les épreuves

Son passage à la tête du gouvernement, de 1994 à 1996, fut bref mais intense. Issu d’une coalition inédite entre son Parti socialiste et le Parti libéral-démocrate, il dut gouverner dans un contexte politique fragile, marqué par des tensions internes et des crises d’envergure nationale.

En janvier 1995, le terrible séisme de Kobe fit plus de 6 400 victimes, mettant à l’épreuve la capacité de réaction de son gouvernement. Deux mois plus tard, la secte Aum Shinrikyō semait la terreur dans le métro de Tokyo avec un attentat au gaz sarin. Ces tragédies successives ont profondément bouleversé la société japonaise et mis en lumière la fragilité du pays face aux catastrophes, naturelles comme humaines.

Malgré ces épreuves, Murayama resta fidèle à ses convictions : dialogue, justice sociale et responsabilité historique. Sa gestion des crises et sa position ferme sur les excuses de guerre lui ont valu le respect, même de ses adversaires politiques.

Un héritage durable

Près de trente ans après sa fameuse déclaration, l’héritage de Tomiichi Murayama continue d’influencer la politique japonaise. Dans un pays souvent traversé par des débats sur le nationalisme, il demeure la figure d’un courage politique rare : celui d’assumer le passé sans chercher à le minimiser. Sa mort marque la disparition d’un témoin direct d’une époque où le Japon a dû apprendre à conjuguer mémoire, responsabilité et modernité.