Ils mangent du thon… sans pêcher de thon : la révolution silencieuse des chefs japonais
Au Japon, le thon rouge est bien plus qu’un poisson. C’est une icône gastronomique, un trésor des mers, le cœur du sashimi et du sushi qui font vibrer les gastronomes. Mais derrière ce prestige se profile une inquiétude : les stocks déclinent, la surpêche menace, et les chefs doivent aujourd’hui réagir pour préserver l’avenir de leurs assiettes.
 
    Le défi du thon Kindai : élevage et innovation
Depuis plusieurs décennies, les chercheurs japonais et les universités travaillent à une solution : produire un thon rouge issu entièrement de l’élevage, sans dépendance aux captures sauvages. L’université Kindai est pionnière dans ce domaine. Après plus de trente ans de développement, elle a réussi à commercialiser un thon Kindai issu de l’aquaculture complète. La méthode consiste à obtenir des œufs, les faire éclore, puis élever les petits jusqu’à l’âge adulte.
Ce thon d’élevage entre progressivement dans les circuits de vente et de restauration. Dans certains restaurants à Tokyo ou Osaka, il est servi en sashimi ou sushi pour que les chefs et les clients goûtent sa qualité et la comparent avec le thon sauvage. L’objectif est de créer une demande stable pour une alternative durable, tout en respectant les exigences gustatives des connaisseurs.
Quand le chef devient gardien de la mer
Face à la diminution des quotas de pêche, certains chefs étoilés réinventent leurs menus. Le thon ne disparaît pas, mais il se transforme. On le retrouve dans des formes plus modestes ou dans des parties moins demandées : tataki, maki, préparations combinées. Le but est de réduire le gaspillage et d’exploiter chaque partie du poisson, de la tête à la carcasse.
D’autres optent pour des alternatives végétales, à base d’algues ou de protéines texturées, pour reproduire la texture et la couleur du thon cru. Ces versions permettent de soulager la pression sur les populations sauvages tout en respectant l’esprit du sushi.
Aux sources d’un équilibre délicat
La pêche au thon rouge reste strictement réglementée, mais les tensions persistent. Les chefs japonais naviguent entre tradition et responsabilité. Le sashimi exige une fraîcheur, une texture et une précision extrêmes. Si un thon d’élevage ne satisfait pas encore tous les puristes, les efforts pour l’améliorer se multiplient.
Dans les coulisses de Tokyo, certaines brigades organisent des tests à l’aveugle : thon sauvage contre thon d’élevage, pour évaluer la différence perçue par les clients. D’autres affichent fièrement l’origine “élevage durable” sur leurs menus, convaincus que la transparence est la meilleure voie vers l’acceptation.
Un tournant pour la gastronomie marine
Si le thon sauvage est en déclin, ce n’est pas une fatalité. L’innovation, une gestion rigoureuse et la conscience collective des chefs et des consommateurs peuvent inverser la tendance. Le thon rouge reste un joyau, mais il doit devenir aussi un symbole de responsabilité : un sashimi qui respecte la mer.
La route est encore longue. La qualité du thon d’élevage doit s’affiner, les habitudes doivent évoluer. Mais dans les cuisines japonaises, de plus en plus d’artisans acceptent le défi. Et peut-être que dans quelques années, le sashimi que l’on dégustera sera aussi un acte durable, un hommage à la mer qui l’a vu naître.
 
                     
 
 
